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La pandémie n’a pas réécrit les règles de la mobilité professionnelle au Canada… elle en a accéléré l’évolution.

La pandémie n’a pas réécrit les règles de la mobilité professionnelle au Canada… elle en a accéléré l’évolution.

Au cours des dernières années, les recherches, les livres, les articles et les rapports se sont multipliés pour examiner l’impact des restrictions draconiennes à la mobilité, des politiques de confinement et des contre-mesures mises en place pendant la pandémie. L’ampleur sans précédent de ces mesures n’est pas sans conséquences durables sur les marchés et les secteurs clés.

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Lindsay Bevan

En regardant la situation en avril 2020, il est facile de comprendre comment beaucoup d’entre nous pensaient que le retour au bureau n’était qu’une question de temps après la levée des restrictions liées à la COVID. Comme je le mentionnais dans mon premier article de notre série sur la mobilité professionnelle, chaque fois que les restrictions ont été partiellement assouplies dans un domaine particulier, nous avons constaté une nette tendance à la hausse de la mobilité, puis à la baisse lorsque les restrictions étaient de nouveau imposées.

Nos plus récentes données sur la mobilité de janvier 2023 révèlent que la main-d’œuvre canadienne demeure 9 % moins mobile qu’elle ne l’était en janvier 2020. Au niveau provincial/territorial, seules deux régions, la Saskatchewan et les Territoires du Nord-Ouest, ont vu leur mobilité dépasser les niveaux d’avant la pandémie de +36 % et +15 %, respectivement. À l’inverse, 11 régions sur 13 affichent une mobilité vers les lieux de travail inférieure de 5 % à 30 % à ce qu’elle était en janvier 2020. Cependant, plus d’un an après la levée de toutes les restrictions en matière de mobilité au Canada, et trois ans après le début de la pandémie, de grandes différences subsistent dans les schémas de mobilité professionnelle.

Prenons l’exemple de la Saskatchewan. Elle a été la première province à lever les restrictions au Canada et a toujours obtenu de mauvais résultats dans les indices qui évaluent la rigueur des politiques de confinement liées à la COVID (Banque du Canada, 2022; Statistique Canada, 2022). Toutefois, d’autres provinces, comme la Colombie-Britannique, ont obtenu des résultats inférieurs à ces indices, mais leur mobilité ne s’est pas redressée pour autant.

Nous pensons souvent que les politiques sont les principaux catalyseurs de la mobilité. Cependant, nos recherches montrent que le qui, le quoi et le où jouent également un rôle important. En d’autres termes, les facteurs démographiques, comme le revenu, l’âge, le sexe, le secteur d’activité et le mode de transport, ont un impact important sur les raisons pour lesquelles les gens se déplacent, sur leur destination et sur la durée de leur séjour.

Plus précisément, l’étude des données relatives à la mobilité professionnelle révèle que des retards persistants dans la mobilité et des taux de retour au bureau plus lents sont observés dans les zones géographiques où la proportion de couples mariés, de femmes, de personnes âgées et de personnes handicapées est plus élevée que dans les autres régions :

  • une proportion plus élevée de couples mariés, de femmes et de familles avec enfants,
  • une proportion plus élevée de personnes utilisant les transports en commun pour se rendre au travail (et moins de personnes se rendant au travail en voiture),
  • une proportion plus élevée de diplômés universitaires,
  • une proportion plus faible de travailleurs sur place ou dans des secteurs primaires comme la construction

Le retour au bureau est plus lent pour les familles avec enfants et personnes à charge.

Ce n’est un secret pour personne que les trois dernières années ont eu un impact disproportionné sur les femmes, les minorités et les personnes avec personnes à charge (Gladu, M., 2020Qian et coll., 2020, Scott, K, 2021). Pour de nombreuses personnes mariées ou ayant des enfants et des personnes à charge, l’adaptation à la pandémie a été un combat difficile. Il est compréhensible que certains aient résisté au retour au bureau après avoir trouvé leur rythme pour équilibrer le travail et la vie de famille quand ils étaient en télétravail. En fait, dans sa cinquième enquête sur les perspectives des ménages canadiens, le Prosperity Project a constaté que « la grande majorité des femmes (91 %) préféreraient que la plupart ou au moins une partie de leur travail soit effectuée à distance à l’avenir ».

Bien que plusieurs provinces les séparent, Barrie (Ontario) et Abbotsford-Mission (C.-B.) sont toutes deux des villes de taille moyenne, proches respectivement des grandes villes de Toronto et de Vancouver. Toutes deux enregistrent de bons résultats en matière de mobilité professionnelle et figurent sur la courte liste des RMR et des centres-villes qui ont non seulement rétabli, mais dépassé les niveaux de mobilité d’avant la pandémie.

Néanmoins, il existe une différence notable entre la mobilité au centre-ville de Barrie et celle d’Abbotsford, Barrie affichant un retour au bureau beaucoup plus marqué et positif qu’Abbotsford. Il est particulièrement intéressant de constater qu’au niveau de la RMR, les deux villes ont une proportion plus élevée de travailleurs mariés ou avec des enfants.

Toutefois, si l’on examine la composition des travailleurs mariés et non mariés au centre-ville, on constate que près de 60 % de la main-d’œuvre du centre-ville d’Abbotsford n’est pas mariée, alors que Barrie a une composition égale de 50-50 (moins qu’Abbotsford). Quant aux familles avec enfants, près des trois quarts des travailleurs du centre-ville de Barrie ont des enfants, contre les deux tiers à Abbotsford.

Au niveau de la RMR, nos conclusions se vérifient, Barrie ayant une proportion légèrement plus élevée qu’Abbotsford de travailleurs mariés et de travailleurs ayant des enfants.

Les modes de transport pèsent lourdement sur les chiffres de la mobilité, en particulier dans les grandes villes et leurs centres-villes.

La pandémie a eu un impact massif sur les systèmes de transport public à travers le Canada, qui continuent à se débattre avec des manques à gagner dans de nombreuses grandes villes (Simeus-Kabo et coll., 2021, Compostella, J., 2021, Dachis et coll., 2021). Même si les restrictions ont été levées, la baisse de fréquentation a été plus lente à se redresser que prévu. Ceci pourrait également être dû aux impacts psychologiques à long terme (au minimum) de longues périodes de distanciation sociale.

Le Québec a été l’une des premières provinces à lever les restrictions en mars 2022, juste après la Saskatchewan. Au niveau de la RMR, par rapport à d’autres, Montréal a connu une reprise de la mobilité très impressionnante, compte tenu des modèles et des tendances d’autres villes de taille similaire et des RMR de la capitale. Nos données de janvier 2023 montrent qu’environ 98 % de la main-d’œuvre est de retour au bureau, le centre-ville n’étant pas loin derrière avec 96 % de récupération.

La situation est très différente à Québec. Alors que 83 % de la main-d’œuvre est de retour au niveau de la RMR, un peu plus de la moitié de la main-d’œuvre n’est toujours pas de retour au bureau dans le centre-ville de Québec. D’après nos données sur la mobilité de la main-d’œuvre, nous savons qu’un tiers de la main-d’œuvre montréalaise résidant au centre-ville utilise les transports en commun pour se rendre au travail. C’est un dixième de plus qu’au centre-ville de Québec. Il convient de noter la proportion de la main-d’œuvre qui se rend au travail en voiture, qui est, sans surprise, plus élevée au niveau de la RMR qu’au niveau du centre-ville. Cependant, il est intéressant de noter qu’il existe un écart visible entre les deux villes en ce qui concerne la proportion de la main-d’œuvre qui se rend au travail en voiture, tant au niveau de la RMR qu’au niveau du centre-ville. La ville de Québec dépasse Montréal dans les deux cas. La ville de Québec a également une plus forte concentration de fonctionnaires que Montréal, ce qui nous amène à parler du rôle des secteurs d’activité et de l’éducation.

L’éducation et les secteurs d’activité jouent également un rôle essentiel dans la mobilité.

Le rôle des personnes à charge et le mode de transport ne sont pas les seuls facteurs de mobilité de la main-d’œuvre.

Nos recherches montrent que les régions où la proportion de travailleurs titulaires d’un diplôme universitaire est plus élevée et où la proportion de travailleurs sur place est plus faible (par exemple dans le secteur de la construction) affichent des taux de retour au travail plus lents.. Pour la plupart des secteurs primaires et de nombreux secteurs secondaires comme l’agriculture, la sylviculture, l’industrie manufacturière, le commerce de détail et la construction, la capacité des travailleurs à travailler à distance ou de manière hybride est moins flexible. Ainsi, dans les régions où la concentration de ces industries est la plus forte, comme Regina, Chilliwack, Abbotsford-Mission et Thunder Bay, les schémas de mobilité sur le lieu de travail se sont rétablis plus rapidement aux niveaux prépandémiques que dans les régions où l’on trouve des industries du secteur tertiaire, comme l’information, la culture, les services professionnels et la finance, comme Calgary, Ottawa-Gatineau, Toronto, Vancouver et Winnipeg.

Beaucoup de changements se sont produits en trois ans et d’autres suivront.

Au cours des dernières années, les recherches, les livres, les articles et les rapports se sont multipliés pour examiner l’impact des restrictions draconiennes à la mobilité, des politiques de confinement et des contre-mesures mises en place pendant la pandémie.

L’ampleur sans précédent de ces mesures n’est pas sans conséquences durables sur les marchés et les secteurs clés. Non seulement sur la façon dont nous vivons et travaillons, mais aussi sur tous les aspects du fonctionnement du monde. Ces conséquences comprennent la perturbation de la planification urbaine et des transports, la refonte des chaînes d’approvisionnement mondiales et l’accélération de la vitesse d’investissement et d’utilisation de la technologie, car les ménages et les individus continuent de réimaginer et d’améliorer leur façon de travailler, de vivre et de fonctionner (de Palma et coll., 2022, Nardon et coll., 2021, Oh et coll., 2021b, Rahman et coll., 2020).

Même si les employés du gouvernement fédéral ont récemment reçu le mandat de retourner au bureau deux ou trois jours par semaine et que de plus en plus d’entreprises leur emboîtent le pas avec leurs propres modèles de travail hybrides, notre analyse indique que la mobilité ne reviendra probablement pas à ce qu’elle était, et certainement pas de sitôt, en raison de ces facteurs sous-jacents.

En effet, les récentes manchettes sur l’augmentation du nombre de bureaux vacants dans certains des plus grands centres urbains du Canada, comme Calgary, Hamilton, Ottawa, Sudbury, Toronto, Vancouver et Winnipeg, relancent le dialogue sur le rôle que les centres-villes devraient et pourraient jouer.  Il s’agit notamment de réintroduire les centres-villes en tant que pôles technologiques susceptibles de favoriser l’innovation et la créativité pour les communautés des villes de premier et de second rang.

Il faut également tenir compte de la question de l’immigration et de la pénurie de logements à l’échelle nationale. La question de savoir si ces centres-villes devraient ou non transformer des espaces de bureaux obsolètes en propriétés résidentielles est aujourd’hui largement débattue. Quoi qu’il en soit, les centres-villes et leurs entreprises auront un rôle crucial à jouer dans les années à venir, main dans la main avec la politique, cela nécessitera une énorme remise en question de la façon dont les centres-villes peuvent continuer à s’adapter en tant qu’épicentres de l’engagement civique, de l’activité commerciale, de l’emploi, des arts et de la culture, et de l’impact financier.

Les villes et les centres-villes continueront d’être façonnés par nos besoins et nos habitudes collectifs, qui ont tous connu un changement considérable en raison de la pandémie. Comme pour tout type de changement, il ne s’agit jamais de savoir ce qui fonctionnait hier ou même ce qui fonctionne aujourd’hui, mais ce qui est nécessaire pour les Canadiens de demain.

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